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Comment les écrans agissent sur le développement du langage oral des enfants?

Dernière mise à jour : 1 oct. 2021

Plusieurs collègues orthophonistes s'alertent du nombre de demandes de bilans pour des difficultés de langage oral. Ce nombre de demandes augmente toujours. Nos habitudes de vie auraient-elles changé? Un des facteurs de dégradation du langage oral des enfants pourrait-il être en lien avec les écrans?


On apprend que les enfants de 2 à 8 ans passent aujourd'hui, en moyenne, 2h45/ jour devant les écrans. Ça représente tout de même presque 1/4 du temps de veille moyen des enfants de cet âge. Et si on annualise, on arrive à 1000h/an, soit plus d'une année scolaire (24h/ semaine sur 36 semaines, soit 864h)!

Donc, en moyenne, un enfant de 2 à 8 ans passe aujourd'hui plus de temps devant les écrans qu'à l'école.


Et que font nos bambins sur les écrans? A 90%, il s'agit de visionnage de contenus (TV, DVD, Vidéos sur internet) et de jeux vidéos. On parle donc bien d'écrans récréatifs... Rien à voir avec le télétravail!


Quelques études et statistiques permettent d'objectiver l'impact des écrans sur le déclin du langage oral


  • Chez des enfants de 2 à 4 ans, l’éventualité d’un retard de développement du langage est multipliée par trois pour deux heures journalières de télévision commerciale. Cependant, si l’enfant est exposé tous les jours avant un an, quel que soit le temps d’exposition, le risque se multiplie par six (Chonchaiya & Pruksananonda, 2008).

  • Chez des enfants de 24 à 30 mois, le risque de déficit langagier augmente proportionnellement au temps d’exposition télévisuelle (Byeon et al, 2015)

  • Entre 3 ans 1/2 et 6 ans 1/2, lorsque les enfants vont sur un écran avant l’école ou la crèche, le risque de retard de développement du langage est multiplié par 3,5 (Collet M et al., 2018, Acta Paediatr)

  • En France, le nombre d’élèves souffrant officiellement de «troubles du langage et de la parole est passé de 11000 à 24000 enfants entre 2010 et 2018, il a plus que doublé (p266, La fabrique du crétin Digital).

Ah! Tiens! L'augmentation des demandes de bilans pour des difficultés de langage oral n'était donc pas une vue de l'esprit!


Pour couronner le tout, l’influence des troubles du langage oral sur le langage écrit est bien établie. Dans une cohorte d’enfants suivis depuis l’école maternelle, Catts et coll. (2002) ont mis en évidence des problèmes de lecture en CM1 chez 63,3 % des enfants identifiés comme ayant des difficultés de langage oral à 5 ou 6 ans (contre 8,5 % chez les enfants sans problèmes de langage).


Alors, comme nous sommes des parents qui portons quand même un peu d'intérêt à nos chers rejetons, on va essayer de comprendre pourquoi un tel impact sur le langage ...

Il est plus facile d'agir quand on sait pourquoi on agit. Non?




Les besoins fondamentaux pour que le langage oral et la communication se développent bien.


1/ L'attention conjointe: c'est "regarder à deux dans la même direction. "

Avec un enfant par exemple, c'est partager une activité à deux (faire des passes avec une balle en la faisant rouler, regarder notre enfant lorsqu'il nous appelle pour nous montrer quelque chose...) Je fais attention à toi et tu fais attention à moi. Nous ne sommes pas chacun dans notre bulle, nous pouvons interagir.


2/ L'imitation

L'enfant apprend par imitation de l'adulte. Il a donc besoin d'un modèle à imiter.

Et l'adulte imite aussi parfois l'enfant: par exemple lorsque les bébés produisent leurs premières vocalises. L'adulte reprend la vocalise du bébé. Cela l'encourage à continuer, à persévérer. L'imitation est indispensable pour tout apprentissage de l'enfant.


3/ Le chacun son tour, les tours de rôle

Typiquement, lorsque tu parles, je me tais et je t'écoute. Puis lorsque je parle, tu te tais et tu m'écoutes. C'est la base du dialogue, indispensable pour développer un langage oral qui serve la communication.


4/Des interactions langagières ajustées, riches et fréquentes

C'est par l'entrainement que l'enfant progresse, il faut donc qu'il ait suffisamment d'opportunités de s'exercer. L'enfant doit évidemment être considéré comme un interlocuteur en puissance, même lorsqu'il bredouille 3 mots. C'est le langage qu'on lui offre qui lui permet de construire son langage. Un enfant à qui on ne parle pas, n'apprend pas à parler. Lorsqu'on lui parle, il faut aussi bien sûr lui laisser la place de parler à son tour. Et c'est notre feed-back, notre retour, qui va lui permettre d'affiner peu à peu son langage. Par exemple, quand notre petit dernier nous dit 'a veu a dato", nous allons reformuler "Ah! Tu veux un gâteau!" ... et comme il est futé ce petit dernier, après plusieurs fois, il va affiner sa formulation.


5/S'entrainer à produire des nouveaux sons, à les organiser

Pour réussir à produire tous les sons de notre langue et tous les enchainements improbables qu'elle contient, il faut bien un peu d'entrainement! Même vous qui êtes experts, essayez un peu de dire sans fourcher "On se gèle chez ce cher Serge!". Pas évident, hein?


Donc, nos lardons ont besoin de faire des tentatives, d'essayer, de mettre à l'épreuve leur langue, leurs lèvres, leurs joues etc. Et ils le font! En faisant des bisous, des bulles de savon, des grimaces, en croquant le bout de pain avec la croûte. En faisant des vocalises, des bruits de voiture, de tracteur, de fusée, de lion, de serpent, de chien...





6/ Écouter des histoires lues

Parce que le langage écrit est infiniment plus riche que le langage oral, tant au niveau du vocabulaire que des constructions de phrases. Parce que le langage écrit parle de choses qui permettent à l'enfant d'élargir son horizon. Parce que c'est un moment privilégié partagé. Parce que ça prépare l'enfant à la lecture. Parce que l'enfant peut partir des images et nous raconter plein de choses sur ces centres d'intérêt. Parce que... à vous de compléter!



Quels sont les effets des écrans sur ces fondamentaux nécessaires à la construction du langage?


1/2/ L'attention conjointe et l'imitation entravées

cf. le post précédent! Les écrans happent l'attention. Ils viennent nous chercher et nous captivent. Une télévision allumée dans une pièce, un smartphone qui bipe viennent régulièrement détourner l'attention que nous portons à notre enfant. Sans attention de qualité, l'imitation devient difficile voir inopérante.


3/ Les tours de rôle, le chacun son tour... n'existent pas

Sur les écrans, pas de chacun son tour! C'est tous en même temps ou chacun dans sa bulle.


4/ Des interactions langagières non-ajustées, pauvres et rares

Un écran allumé baisse le nombre d'interactions langagières dans la famille.

Des chercheurs ont équipé des enfants de moins de 4 ans avec un magnétophone. Sur une journée, un enfant entend en moyenne 925 mots/heure. Lorsque la TV est allumée, ce compte tombe à 155 mots, soit une baisse de 85% !

Par ailleurs, les énoncés entendus par le biais des écrans ne permettent ni un ajustement au niveau langagier de l'enfant, ni un feed-back correctif.

Quant à a richesse/ pauvreté du langage proposé par les écrans récréatifs... on garde le suspens jusqu'au 6/ ! Un petit indice tout de même: en matière de langage, l'inefficacité des programmes audiovisuels éducatifs est expérimentalement avérée.


5/Ne pas s'entrainer à produire des nouveaux sons, à les organisera

On ne vocalise pas devant une vidéo! On fait la carpe. Au pire, bouche entrouverte avec un léger filet de bave qui coule le long des commissures! Ou avec une tétine ou un pouce vissé dans le bec... Bref, tout ce qu'il ne faut pas pour explorer les possibilités motrices et praxiques de notre bouche.


6/ Écouter des histoires lues

C'est ici que je vous parle du gouffre qui existe entre les contenus langagiers audiovisuels et les contenus langagiers écrits: (figure extraite du livre de Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital, p275)

Je pense que ça vaut mieux qu'un long discours.

La complexité langagière d'un livre pour enfant dépasse la complexité langagière d'un dialogue entre adultes ou des contenus audio-visuels pour adultes ou pour enfants.



Alors, que fait on?

  • On coupe les écrans de fond.

  • On partage des activités avec nos enfants: des jeux, la cuisine, des chatouilles...

  • On met des mots sur ce qu'on vit, sur ce qu'on ressent, sur ce qu'on observe chez notre enfant (ex: "tu as l'air fâché, il y a quelque chose qui t'embête?")

  • On lit des histoires au coucher, même lorsque l'enfant commence à être lecteur (le plaisir du moment partagé, pas d'effort de lecture pour notre apprenti, juste le plaisir d'accéder au contenu!)

  • On met des règles éducatives pour encadrer l'utilisation des écrans (Quand? Quoi? Combien?) et on les explique avec eux. Vous trouverez ici le lien d'un document/contrat qui permet d'expliquer les règles et de les valider avec l'enfant.

https://collectif.alerte-enfants-ecrans.org/wp-content/uploads/2017/06/Alerte-Enfants-Ecrans_kit-temps-ecrans_v3.pdf


Voilà, vous avez tout ce qu'il faut pour prendre les rênes et mettre toutes les chances du côté de vos enfants!



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